samedi 3 janvier 2015

Kortadura de fashadura

Évadons-nous quelques instants loin du froid hivernal pour une nouvelle escapade en terre séfarade, avec une autre coutume liée à l'arrivée d'un enfant : la kortadura de fashadura.
Alors que de nos jours, on entend qu’il est très néfaste, voire "interdit" de préparer quoi que ce soit avant la naissance d’un enfant, voici une tradition séculaire qui va à l’encontre de cette idée.

Lorsque une future mère atteint BH 5 à 7 mois de grossesse, une cérémonie, parfois appellée kortadura de fashaduras (découpage des langes) ou alors fiesta de fashaduras (fête des langes) a lieu.
Toutes les parentes, voisines et amies sont invitées à aider à couper le premier ensemble du bébé (qui sera donc unisexe).
A Istanbul, cette cérémonie a lieu pour chaque enfant. Certains ailleurs ne le font que pour l’aîné.
Des gâteaux, du thé, des liqueurs, des friandises (amandes sucrées, dragées ou bonbons) sont servis dans le meilleur service, sur des nappes brodées main (les judéo-espagnoles sont de grandes brodeuses, et dans certaines synagogues séfarades d'Italie on récitait même une bra'ha particulière pour elles !).
En Algérie et au Maroc, cela se passe au troisième trimestre de la grossesse, alors que dans les Balkans cela doit avoir lieu uniquement à 5 ou 7 mois, quand on sent le bébé bouger (et pas à 6 ou 8 mois), le lundi ou le jeudi (jours de sortie de la Torah, considérés comme des jours de chance*), en début d’après midi car il faut avoir fini avant la nuit. Seules les femmes y assistent, et cela se passe chez la femme enceinte ou chez sa mère. 
De nos jours, cependant, cela a souvent lieu dans une salle de synagogue ou de restaurant.

On prépare pour cette cérémonie des tissus de grande qualité, souvent provenant du trousseau de la future mère (dans les familles ou l’ont a encore cette habitude). A Salonique et en Thrace, on découpe aussi une chemise volontairement trop longue et large, pour souhaiter à l'enfant à naître une vie longue et "large". 

Voici ce que l’on m’a décrit :
On prend un panier décoré, on met dedans 4-5 mètres de tissu blanc fin, des ciseaux et des bonbons ou alkonfites [dragées blanches]. Certains servent de la liqueur au chocolat.
Le premier coup de ciseau est donné par une femme déjà mère, ayant ses deux parents encore en vie [ségoula pour que l’enfant grandisse avec ses deux parents**], d’autres choisissent une jeune fille, si possible une grande sœur du bébé à naître. Des amandes sucrées sont ensuite jetées sur le linge comme ségoula pour une vie douce et prospère pour le bébé. La femme enceinte et sa belle mère y mettent des pièces d’or [ségoula pour la prospérité]. La personne choisie pour couper donne un coup de ciseaux, a environ 1 mètre du bord, puis déchire le tissu sur toute la largeur.
L'honneur de echar tijera*** (donner le premier coup de ciseaux) peut également être offert à quelqu'un que l'on veut honorer. 
Ainsi, au Maroc, il était coutumier que ce soit la future sage-femme qui reçoive l’honneur de la première coupe. 
Il y a ensuite distributions de sucreries aux invitées (la nouvelle mode chez certains est de rajouter des dragées bleues pour les garçons et roses pour les filles). 
Certains offrent un buffet salé-sucré et il semblerait que de nos jours les plus proches parents hommes viennent prendre part à la réception à la fin.

Avant de partir, les convives adressent les bra'hot judéo-espagnoles de parto kolay (leida kala, accouchement facile) et de skapamiento/eskapamiento bueno (bonne délivrance) pour la future mère.

La cérémonie s'achève ainsi, mais ce n'est que le début de l'aventure pour notre étoffe.

Une fois le tissu coupé, une parente sachant bien coudre en confectionne un vêtement auquel elle ajoute toutes sortes de décorations : des dentelles, broderies, rubans, petites fleurs... Plus il y en a, mieux, c'est.
Aujourd'hui ceux qui connaissent le sexe font des décorations appropriées (par exemple des fleurs roses pour les filles et des magen david bleus pour garçons), au lieu du mélange des deux que l’on faisait avant.
Ce vêtement sera soit porté comme premier vêtement à l’hôpital (avant que le bébé ne soit lavé), soit à la brit-mila (ou lors de la nomination pour une fille). 
En Eretz Israel, les séfarades ottomans, qui vivaient dans une grande pauvreté, préparaient ces vêtements sans cérémonie, en se servant de linge de seconde main, dans les derniers mois de grossesse. L’effort principal portait sur le bonnet, la seule chose que l’on verrait entre les couvertures et emmaillotement. Ainsi le bonnet portait des rubans de couleur et un brin de rue (ruda) contre le mauvais œil…
A Izmir un deuxième tissu était préparé en vue d'être utilisé comme mappah. On l'enroulait autour d'un sefer torah lorsque la date prévue d’accouchement approchait.****

A l’époque des couches en tissu lavable, elles étaient fabriquées à ce moment, et pour certaines démarrait aussi la lente et longue préparation du trousseau de mariée, au cas où le bébé serait une fille…
Bien que depuis la Shoah elle soit en perte de vitesse, la coutume de la kortadura de fashadura est tellement ancrée dans la société séfarade qu'elle est pratiquée même par des familles peu pratiquantes. Ainsi on voit des kortaduras où du porc est servi…
Que nous ayons tous le mérite de voir naître dans notre foyer banot oubanim en bonne santé pour servir Hashem !




*chez les ashkénazes également ces jours sont considérés comme mazeldik, des jours chanceux.
**il est intéressant de comparer avec la coutume que la wimpelmacher - la personne qui décore le wimpel - doive avoir déjà un fils
***En judéo-espagnol courant, cette expression est aussi devenue synonyme de « papoter, potiner ».
****ce tissu était brodé de fils de soie, ce qui rappelle encore la coutume du wimpel.

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