mercredi 14 mai 2014

Refus de guett : quelles solutions ?

Bon alors on parle guett sans arrêt, et tout le monde est d'accord sur le fait qu'un guett, cela ne se monnaie pas.
Mais à l'heure où quelques farfelus proposent son abolition pure et simple, quelles sont les solutions qui pourraient être mises en oeuvre, concrètement, pour éviter de se retrouver dans une situation de messorevet guett ?

Voici un aperçu (qui ne tire pas à boulets rouges sur le rabbinat, lui) des méthodes - utilisées ou non - pour gérer au mieux les divorces.



I. Avant le mariage


Puisqu'il vaut mieux prévenir que guérir, on peut déjà commencer par mettre en oeuvre plusieurs outils existants qui minimisent le risque de se retrouver face à un refus de guett


1) L'accord prénuptial est certainement la technique la plus connue pour prévenir les litiges liés à la remise du guett. Sorte de pendant religieux du contrat de mariage, il prévoit, par avance, les modalités de remise (et d'acceptation !) du guett et les sanctions (pécunières) qui découleraient d'un refus (d'un coté ou de l'autre). Cet acte, qui rencontre un écho tellement favorable dans les milieux "modernes" depuis une vingtaine d'années que beaucoup aimeraient le rendre obligatoire, reçoit un accueil plus mitigé de la part des courants plus "traditionnels" ('haredi notamment, mais pas seulement) pour des raisons hachkafiques. Le reproche qui est fait à l'accord prénuptial, c'est qu'en ouvrant une porte de sortie trop grande, trop facile au mariage, le couple ne fasse aucun effort pour le maintenir. D'où le risque de faire augmenter encore le taux de divorces et de voir apparaître, à long terme et à grande échelle, un éclatement de la cellule familiale telle qu'on la voit dans les société occidentales laïques. 

Divergence de point de vue, donc, entre un monde où le divorce est banalisé et un monde où il est un ultime recours réservé aux cas les plus extrêmes. De plus, l'accord prénuptial n'est pas infaillible : le mari peut se déclarer insolvable ou partir à l'étranger pour éviter les sanctions. Enfin la jurisprudence constante des tribunaux civils produit des effets similaires qu'il y ait ou non accord prénuptial, ce qui fait perdre, en France, une grande partie de son intérêt (voir plus bas point 5b).
Selon le rabbin qui célèbre le mariage (et sa vision du divorce), les fiancés pourront donc se voir imposer la conclusion un accord prénuptial, se le voir interdire ou toutes les nuances intermédiaires. 
La position actuelle du Consistoire est plutôt favorable à l'accord prénuptial, il n'est cependant pas obligatoire et on peut dire la plupart des rabbins français ne voient pas l'intérêt de le recommander.

2) Une autre possibilité est celle des kidouchine al tnai, ou mariage conditionnel. Cette technique est évoquée par le Rama (EH 157,4) à propos du lévirat, mais au 19e siècle des rabbins du Consistoire ont proposé de le généraliser pour éviter tout problème de guett. L'idée est de conclure un accord selon lequel, en cas de divorce civil, le mariage religieux serait annulé rétroactivement. Cette initiative a cependant été rejetée à l'unanimité par le monde des yechivot qui voyait d'un mauvais oeil ce qui ressemblait trop à une démarche de maskilim (voir "Ein Tnai Benissouine"), avec des justifications halakhiques, certes, mais pas incontournables. Certains parlent de remettre cela au goût du jour, mais on ne peut que prédire rejet total du monde 'haredi, pour des raisons plus hachkafiques que relevant purement de la halakha.


3) La solution préventive, dont personne ne parle alors qu'elle est, à mes yeux, capitale, c'est l'éducation des futurs conjoints. Et peut-être, tant qu'à faire, de leurs parents.

Actuellement, qu'est-ce qui est demandé ? 3 ou 4 séances de préparation au mariage au cours desquelles l'accent n'est mis que sur les problématiques de nida et du mikvé. C'est très bien, c'est nécessaire, mais loin d'être suffisant. 
Il faudrait imposer, tant au mari qu'à la femme, une vingtaine ou une trentaine d'heures de formation sur la mariage, mais sous l'angle du chalom bayit et de la communication, notamment. Il ne faut pas attendre les problèmes de couple pour cela mais commencer ce travail avant le mariage, et également rendre la réflexion sur "pourquoi je me marie ?" obligatoire, car trop de gens se marient pour de mauvaises raisons. Il est vrai que les couples en difficulté peuvent obtenir de l'aide, d'ailleurs les tentatives de (ré)conciliation sont obligatoires au Consistoire (et dans les communautés 'haredi, les efforts sont encore plus importants) mais quand elles sont mises en oeuvre, il est souvent trop tard. 
Pourquoi attendre pour bien faire ?
Les parents aussi devraient suivre des séances pour qu'ils sachent quel est le place en tant que beaux-parents puis, plus tard, sDv, en tant que grands-parents, car leur rôle est capital dans la réussite (ou non) d'un couple.
A une époque, ces choses se transmettaient naturellement de génération en génération mais aujourd'hui une formation par un spécialiste est de plus en plus nécessaire.
Je suis persuadé que rien qu'avec cela, le taux de divorces chuterait. Et si on évite les divorces, on évite les messoravot guett (et tant d'autres choses). 
Et même si le divorce ne peut pas être évité, avec une éducation adéquate peut-être qu'une bonne partie des drames qui l'accompagnent (dont le refus de guett) peuvent l'être.

II. Après le mariage


Lorsque les précautions n'ont pas été prises, ou si malgré celles-ci, l'épouse se voit opposer un refus de guet, comment peut-on l'aider à l'obtenir ?


4) L'annulation du mariage par le Bet Din est une possibilité évoquée par la Guemara à plusieurs endroits (Yebamot 90b, 110a, Ketoubot 3a, Gittin 33a, 77a, Baba Bathra 48b). Cela peut-être une annulation sans effet rétroactif, ou avec, dans des cas bien spécifiques.

Le mariage peut par exemple être annulé si on peut prouver qu'un condition nécessaire n'était pas remplie, par exemple qu'un témoin n'était pas valable ou que le mari a caché un défaut important à son épouse. Cependant, quelle que soit la raison, une annulation par le Bet Din est toujours exceptionnelle, et la plupart des avis s'accordent à dire que cela ne peut pas être généralisé aux "simples" cas de refus de guett. Cette option ne peut être utilisée qu'a posteriori dans les cas où le mari est dans l'impossibilité objective de donner le guett (coma, maladie mentale grave, disparition - donc cas d'un agouna au sens strict) ou pour résoudre un cas de mamzer.

5) Le recours à la contrainte est la solution généralement préconisée pour la plupart des cas de maris récalcitrants. Mais sa validité fait débat. En effet, le guett est censé être remis de plein gré. Si le mari le donne à contre-coeur, le guett est un guett meoussé (guett forcé), et il n'est pas valable. 

Mais la Michna (Ketoubot 7,9) décrit un certain nombre de cas où le Bet Din peut - et doit - contraindre le mari à divorcer. Sur cette base, sans faire l'unanimité, la solution de contraindre le mari récalcitrant a été validée par les plus grandes autorités à toutes les époques. 
Il y a plusieurs façons d'exercer cette contrainte :

a) la contrainte sociale (niddouy)

Il s'agit de mettre le mari récalcitrant au ban de la communauté, comme une sorte de 'herem. Il ne peut plus témoigner, ni monter à la Torah, ni diriger la prière ; on peut même l'exclure de la synagogue ou interdire aux fidèles de faire affaire avec lui. La limite de cette mesure se trouve dans l'implication communautaire du mari : si c'est un "notable", il sera plus affecté que si, très peu pratiquant, il ne fréquente jamais la synagogue. L'avantage, c'est qu'avec les moyens de communication modernes, elle peut s'appliquer même si le mari se trouve dans un autre pays.

b) la condamnation civile
Elle n'est pas utilisable dans tous les pays mais fonctionne très bien en France car il y a une jurisprudence constante qui considère que la privation de guett est un dommage, et qui permet au juge civil de condamner le mari au paiement de dommages et intérêts s'il ne remet pas le guett dans un certain délai après que le divorce ait été prononcé. Elle est encore plus efficace si elle se base sur un accord prénuptial, mais celui-ci n'est pas nécessaire. Ailleurs, cela pourra être une astreinte qui sera prononcée par le juge.
Il faut cependant que l'épouse pense à demander que cela soit inscrit dans le jugement car ce n'est évidemment pas automatique, le juge civil n'étant pas censé savoir qui a besoin d'un guett ou non parmi tous les demandeurs qu'ils voit. Une condamnation a posteriori (c'est à dire, si rien n'a été prévu dans le jugement de divorce mais qu'une demande est formulée après qu'un refus de donner le guett ait été constaté) est possible mais plus difficile a obtenir.
Le point faible de cette mesure est que le mari peut organiser son insolvabilité ou s'enfuir dans un autre pays pour échapper au paiement de ce qu'il doit.

c) la condamnation pénale
Actuellement il n'y a qu'en Israel que les tribunaux rabbiniques ont le pouvoir de prononcer une peine à caractère pénal envers un mari récalcitrant, à savoir l'emprisonnement pour les citoyens israéliens ou l'interdiction de sortie du territoire pour les étrangers. Ces mesures, réservées aux cas les plus graves, se montrent très efficaces sans atteindre néanmoins les 100% puisque quelques hommes sans scrupules préfèrent encore croupir en prison plutôt que libérer leur femme. Les statistique officielles sont lacunaires, mais il y aurait en Israel environ 100 à 200 maris récalcitrants faisant l'objet d'une sanction pénale chaque année (pour environ 10000 divorces). 
Pour appliquer une telle mesure dans d'autres pays, comme la France, il y aurait théoriquement deux possibilités :
-Donner au Bet Din l'autorité pour prononcer des peines applicables par l'administration pénitentiaire, mais ce serait, en France du moins, contraire au principe de laïcité de l'Etat.
-Que le droit national considère que le refus de guett n'est pas seulement un dommage relevant de la responsabilité civile, mais un délit. Il faudrait pour cela soit créer un nouveau délit, donc un nouvel article de loi dans le code pénal ; soit ranger le refus de guett sous un délit déjà existant, mais il n'y pour l'instant aucune jurisprudence allant dans ce sens. Le problème c'est que la validité d'un guett obtenu dans ces conditions (imposé par la loi des non-juifs) est sujette à discussion ; par exemple un tel guett serait nul d'après Rambam (H.Ichout 14,8).

d) La contrainte physique
Une fois le divorce civil prononcé, le mari est invité a remettre le guett dans un délai raisonnable, et s'il ne s'exécute pas, quelques gros bras, mandatés par le Bet Din, viennent le rouer de coups jusqu'à ce qu'il dise "je veux donner le guett".
Cette solution est très efficace, pour ne pas dire infaillible, pourtant elle rencontre beaucoup d'oppositions pour des raisons très diverses. 

Premièrement,  au niveau halakhique, la méthode ne fait pas, elle non plus, l'unanimité. De nombreux richonim la valident néanmoins (voir par exemple Rambam, H.Nachim 2,20) sur la base de la Michna citée plus haut. Certains poskim suivent également le raisonnement suivant : le mari veut remettre le guett, mais il a par erreur oublié cela, et les coups vont l'aider à retrouver la mémoire. Cette façon de voir les choses est certes discutable d'un point de vue psychologique mais il y a suffisamment de références sur lesquelles s'appuyer pour l'accepter sur le plan halakhique.


Deuxièmement, il n'y a aucun pays où la loi autorise un Bet Din à infliger des châtiments corporels. Aux Etats-Unis, par exemple, certains tribunaux rabbiniques 'haredi ont essayé de procéder de la sorte, mais cela a fait l'objet d'une intervention du FBI. Cela arrive encore occasionnellement, ainsi qu'en Israel, mais de façon très discrète. Il faudrait donc commencer par aménager un cadre légal pour permettre cela.

Troisièmement, cela donnerait un rôle actif au Bet Din. Aujourd'hui, dans le cadre d'un divorce, le Bet Din est cantonné à un rôle d'observateur : il prend acte de remise du guet en assurant que la halakha soit respectée, mais il n'a, en fait, aucun pouvoir.

En lui permettant de mettre en oeuvre des sanctions efficaces, il gagnerait en importance et en pouvoir. Or les courants les plus modernes du Judaïsme (et je ne parle que du Judaïsme orthodoxe, je n'entre même pas dans des considérations libérales ou réformées) voient cela d'un mauvais œil et freinent des 4 fers toute possibilité allant dans ce sens. 
Il y a donc beaucoup d'obstacles qui bloquent cette solution, pourtant s'il y avait une réelle volonté communautaire, elle pourrait être mise en oeuvre.

Mais alors, me demanderez-vous, s'il y a tant de moyens de contraindre un mari récalcitrant à donner le guett, pourquoi le Bet Din de Paris, et notamment R.Gugenheim, n'en fait pas plus grand usage ?
Nous avons vu que le monde 'haredi est, dans sa majorité, hostile au divorce et donc à tout moyen de le faciliter. Mais cela ne suffit pas à expliquer la position du Consistoire qui, de plus, a toujours voulu marquer une certaine distance par rapport au courant 'haredi.
Ce n'est pas non plus par paresse, manque d'intérêt ou misogynie, mais, en fait, pour deux raisons très concrètes :
-La règle est, et doit rester, le guet de plein gré. Si on fait de l'exception une généralité, l'esprit de la Loi n'est plus respecté.
-Un guet obtenu sous contrainte (même dans le cadre de la halakha) pourrait éveiller des soupçons de guett meoussé. Or il ne faut laisser la place à aucun doute ; même la plus petite incertitude doit être balayée car les conséquences d'un guett invalidé sont catastrophiques et irréversibles (mamzer). Toute décision en matière de divorce appelle à la plus grande prudence et même les dayanim les plus expérimentés hésitent à prendre des initiatives, pas dans leur intérêt, bien sûr, mais dans celui de l'épouse et de ses enfants à venir.

Cette rigueur dans l'application du principe du guet de plein gré, qui est tant reprochée au Bet Din de Paris - notamment par les chefs de file de certains courants pseudo-féministes - a en fait permis à celui-ci de se bâtir, dans le monde entier, une réputation d'excellence en matière de divorces. C'est l'un des rares Batei Dinim dont les guittin sont considérés par tous comme irréprochables, et c'est un bienfait pour ceux qui passent par lui car c'est une garantie de tranquillité reconnue internationalement. 

D'un autre coté, est vrai qu'un infime pourcentage des divorcées sont pénalisées par cette approche, et, bien sûr, chaque cas de messorevet guett est tragique. 

Alors faut-il demander au Bet Din de mettre en place des moyens de contrainte plus efficaces ?
Est-il justifié de remettre en cause un équilibre qui bénéficie a des centaines d'autres femmes chaque année ? 
Est-ce que la liberté d'une femme vaut la captivité de cent autres ?

Certains pensent que oui, d'autres pensent que non.
Cela part de bonnes intentions, et pour ma part je trouve chaque position respectable sur le principe.
Reste a voir si les motivations de ceux qui demandent un changement sont sincères ou servent à défendre des intérêts personnels...



2 commentaires:

  1. Je voudrai bien connaitre l'auteur de ce blog
    bameavarechecha@gmail.com

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    1. Moi aussi j'aimerais bien me connaître, mais c'est pas facile, le chemin de la connaissance de soi est fort long...

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