mercredi 2 janvier 2013

Les collants : obligatoires ou pas ?

Dans les journaux des grandes communautés 'haredi comme Bnei Brak ou Lakewood on voit régulièrement des annonces, signées (soi disant) par les plus grands rabbanim, déclarant que le port de collants opaques ou de bas est obligatoire selon la Hala'ha, afin que les jambes des femmes soient entièrement couvertes. Tel est également l'avis du Oz Vehadar Levoucha, qui fait souvent autorité dans les milieux 'haredi, et apparemment même R. Aviner (appartenant pourtant au courant dati-leoumi) s'est rangé à cette opinion.

Très souvent, l'argument avancé est que la Michna Broura impose cela.

Oui... et non !



Pour commencer, remontons un peu à la source : la Guemara (Bera'hot 24a), comme nous l'avons vu au sujet de kol icha, dresse une liste des parties du corps qui doivent être couvertes. Il y est dit que le "Chok" d'une femme fait partie de sa "Erva" (nudité).
Le Choul'han Arou'h (Ora'h 'Haim 75) n'entre pas spécialement dans les détails. Il y a des parties du corps de la femme qui doivent être cachés dans tous les cas (Erva) et d'autres pour lesquelles cela dépend des coutumes locales. Un membre peut ne pas être Erva, mais devoir être couvert quand même. Les Richonim n'évoquent pas spécialement la question, probablement car au Moyen Age, les normes de pudeur, tant chez les Juifs que chez les non-Juifs, sont très strictes, donc ne pose pas de problème hala'hique majeur. Rachi (Ketoubot 72a) mentionne, de façon anecdotique, que la coutume des femmes juives, en son temps, est de couvrir en entier les bras et les jambes, mais il ne fait pas de cela une hala'ha.

Mais les A'haronim sont confrontés à de nouveaux défis vestimentaires qui imposent certaines mises au point.
Il faut préciser ce qui est Erva "Mamach", et ce qui, sans être en soi Erva, doit être également couvert - ou pas - selon la coutume locale.

Il s'agit notamment de définitir le Chok. Selon le Ba'h (toujours à Ora'h 'Haim 75), le Chok correspondrait au mollet, c'est à dire à la partie entre le genou et la cheville. Selon le Peri Megadim (même référence), le Chok correspond à la cuisse, c'est à dire à la partie entre la hanche et le genou. Donc si tout le monde s'accorde à dire que la partie au dessus du genou est Erva, ce n'est pas le cas de la partie en dessous du genou qui fait ma'hloket. Selon le Ba'h, elle doit être couverte dans tous les cas, selon le Peri Megadim, non.

La Michna Broura tranche comme le Peri Megadim, c'est à dire que le mollet n'est pas Erva Mamach. Il fixe le minimum de la tsniout aux genoux, aux coudes et aux clavicules. Mais, précise le 'Hafets 'Haim, dans un endroit où la coutume des femmes juives [religieuses] est de couvrir entièrement les jambes [ou les bras ou autre chose], il est obligatoire de le faire.
D'où le "oui et non" du début. Couvrir le mollet est oui obligatoire là où telle est la coutume, sinon non.

On a demandé au 'Hazon Ich de se prononcer à ce sujet, et bien qu'il fut favorable au port du collant, il s'est toujours refusé à publier un Psak le rendant obligatoire, laissant entendre que le doute sur la définition du Chok l'empêchait de trancher.
R. Ovadia Yossef (Yabia Omer 6  YD 14) se range à l'opinion de la Michna Broura, en ajoutant que telle est l'opinion de la majorité des poskim aujourd'hui.
R. Moshe Feinstein (Even Haezer 1,69) dit que la coutume des femmes juives [dans son milieu] est de couvrir avant-bras et mollets, et qu'on fera ainsi dans sa communauté mais que ce n'est pas universel ni immuable.
Certains décisionnaires, plus stricts, sont en revanche d'avis que le minhag de couvrir entièrement bras et jambes, plusieurs fois rapporté depuis Rachi, a désormais force de loi immuable.
R. Shmuel Katz dans le Kedochim Tihiou dresse une liste des principaux poskim ayant un tel avis.

Evidemment, l'opinion de chacune de ces autorités rabbiniques est respectable (elou veelou divrei Elokim 'Haim), cependant il est clair pour tout le monde (ou plutôt, il devrait être clair pour tout le monde) que de telles décisions ne sont valables que dans leurs communautés respectives. Donc si un rabbin dit que les collants sont obligatoires, il a sur qui s'appuyer et ce sera valable dans sa communauté, mais pas partout ni pour tout le monde.

A partir de là, distinguer les règles vestimentaires qui relèvent d'un signe d'appartenance à une certaine communauté précise, des règles relevant d'un véritables considérations hala'hiques est un vrai casse-tête.

L'âge à partir duquel l'habillement tsniout est également sujet à controverses. Il y a deux opinions principales : selon la Michna Broura, c'est à partir de 3 ans ; selon le 'Hazon Ich c'est à partir du moment où la fillette est "reconnaissable comme étant une fille, mais au plus tard à 7 ans". Le choix de suivre l'une ou l'autre opinion (ou une troisième !) dépend encore une fois de l'usage local.

Tout cela me rappelle l'histoire de la fillette de Beth Chemech qui s'était faite insulter et cracher dessus car son habillement (elle portait des manches aux coudes et une jupe aux genoux) n'était pas conforme aux standards de voisins 'haredi. Or cette fillette évoluait dans un quartier à très large majorité dati, où la coutume est de ne pas porter de collants ni de manches aux poignets, il est donc clair et indiscutable qu'elle était dans son bon droit.
Notez, entre parenthèse, que le terme Pritsout, souvent utilisé comme insulte, signifie à la base simplement non-tsniout comme nous l'apprend la Guemara dans Ketoubot 3b. Ce qui est tsniout dans un endroit peut-être considéré comme pritsout dans un autre, sans qu'il y ait à s'en offenser.
Et l'erreur étant humaine, si vous voyez un visiteur qui ne se conforme pas aux standards de votre communauté malgré sa bonne volonté, appliquez le din lekaf ze'hout au lieu de lui tomber dessus. Fin de parenthèse.

Pour en revenir aux collants (parce que c'est quand même le titre de l'article !) on peut également mentionner la question de leur type. La plupart des décisionnaires qui considèrent que les collants sont obligatoires estiment qu'ils doivent avoir une épaisseur d'au moins 20 deniers (idéalement 40), sans quoi ils ne sont pas considérés comme suffisamment couvrants. Parfois les motifs sont interdits, et certaines 'Hassidout ont même pour coutume d'imposer, au nom de la tsniout, certaines couleurs ou un couture visible pour qu'on ne doute pas de leur présence !

Pour conclure, la question des collants (et d'autres détails de tsniout comme la longueur des jupes ou des manches, sans oublier la façon de se couvrir les cheveux ou kol icha) est dépendante de coutumes locales.
On ne peut pas donner de règle universelle plus stricte que celles de la Michna Broura, qui fixe le minimum communément accepté par les plus grands poskim contemporains (ashkénazes ou non).

Il faut donc s'adresser au rabbin de sa communauté pour savoir ce qu'il convient de faire et ne pas se fier à ce qu'on peut lire dans les livres, les journaux ou sur internet. Et n'oubliez pas que ces règles étant locales, avant de se déplacer hors de sa communauté, il est préférable de se renseigner (auprès d'une autorité rabbinique compétente) sur les usages de l'endroit où l'on se rend.


4 commentaires:

  1. Bonsoir,
    Félicitations pour vos derniers articles.
    Une petite question au sujet "des annonces, signées (soi disant) par les plus grands rabbanim".
    Avez un ou des exemples d'annonces signées par des gedolim et dont ces derniers se sont désolidarisées car elles ne correspondaient pas à leurs dires / ecrits ?

    Ne vivant ni à Bné Brak ni à Lakewood, pouvez vous nous expliquer comme se propagent ces rumeurs, enfin comment les gedolim les démantent / démontent?
    Connaitriez vous un site web sur lequel on peut trouver ces démantis du style de hoaxbuster (http://www.hoaxbuster.com/)?

    Bien à vous

    PS : je vis en région parisienne, utilise ie9 avec vista (pour vos stats).

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  2. Bonsoir, merci pour votre commentaire.
    Je n'ai pas sous la main d'annonce précise car à l'époque où je les ai vues, je n'avais pas encore ce blog et j'étais loin d'imaginer que j'en ferais un jour un article, je n'en ai donc pas gardé.

    Ce genre d'annonces se font souvent par "pashkevil" (affiche dans la rue) ou dans les journaux juifs. Un gros titre "rappelle" que telle ou telle chose est interdite ou obligatoire, par exemple, interdiction des smartphones, ou obligation du port des collants. S'ensuit généralement une liste de malheurs qui frapperait ceux qui ne s'y conforment pas, et cela se conclut par une liste de signatures de rabbins célèbres censés approuver et soutenir ladite annonce.

    Or, en pratique, il a été prouvé que le plus souvent ces annonces n'ont jamais été soumises au rabbins en question avant publication. Parfois ils n'en ont même jamais entendu parler, ou alors ils ont reçu des informations partielles et ensuite on joue sur les mots pour faire croire qu'ils approuvent quelque chose dont ils ignorent même l'existence. On peut aussi utiliser des citations tronquées de rabbins décédés, comme ça il n'y a pas de risque de démenti.
    Bref, de la malhonnêteté intellectuelle à l'état pur.

    Dans le cas que j'avais en tête en écrivant l'article (celui concernant les collants, publié dans un journal de Lakewood), je ne sais pas si les signatures sont authentiques, plus ou moins ou pas du tout. Mais peu importe, même si elles sont vraies, ce que je veux montrer c'est que leur portée ne doit jamais être prise pour universelle. Elles s'appliquent, au mieux, aux fidèles (voire aux disciples) des signataires...
    Malheureusement, quand les impostures sont démasquées il n'y a habituellement pas de démentis publiés (sauf cas très grave). Pourquoi ? Parce que la plupart des gens ne font même attention à ces annonces dont on sait qu'elles émanent la plupart du temps de quelques illuminés qui veulent être plus royaliste que le roi. En général ce que les personnes de bon sens font en cas de doute, c'est qu'elles vont voir leur rabbin en lui demandant ce qu'il pense de telle ou telle annonce. Lequel rabbin se renseigne auprès de son rabbin, et ainsi de suite jusqu'au gedolim. Il n'y a en fait qu'une minorité de personnes (les plus fragiles et influençables, en général des baalei techouva) qui tombent dans le panneau...

    Je ne sais pas si mes explications sont claires, si ce n'est pas le cas n'hésitez pas à me relancer.

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  3. J'ai trouvé cette amusante (!) affiche qui illustre bien mon propos :
    http://www.frumsatire.net/wp-content/uploads/2011/02/internet-causes-cancer.jpg
    "internet donne le cancer"
    avec les signatures des R. Steinman, Elyachiv, Yossef et Wozner. Tout opposés à internet qu'ils sont (pour leur communautés respectives et dans un contexte précis !), je doute fort qu'ils approuvent qu'on dise, en leur nom, qu'internet donne le cancer...

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  4. Pour info, les affiches précédentes (qui avaient été placardées à Bnei Brak) ont été recouvertes par d'autres affiches :
    http://4.bp.blogspot.com/_H0r3WIzqn5g/S9ArUMtpwrI/AAAAAAAACqc/TuSqdY9Qd80/s1600/lettucet.jpg
    "la laitue donne l'autisme", sans approbation de rabbin mais avec avec une signature appelant à l'humour et à l'esprit critique !

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