vendredi 1 février 2013

Les différences de minhagim : un concept dépassé?

Comme nous l'avons vu dans l'article intitulé Le saviez-vous ? Changer de minhag, il est interdit de changer son minhag pour en prendre un autre, même plus "strict".
Mais à l'heure ou le peuple juif est, physiquement, plus ou moins réunifié - dans le sens où les rabbins du monde entier peuvent communiquer avec leurs confrères instantanément où qu'ils se trouvent - garder toutes ces distinctions (qui sont souvent source de tensions) a-t-il encore un sens ?
Ne serait-il pas préférable d'unifier le judaïsme autour d'un Sanhedrin, comme le propose, par exemple, R. Steinsalz ?
Libérés des contraintes de l'exil (famines, pogroms, dictatures), n'est-il pas temps de faire le ménage dans cette accumulation de coutumes que nous traînons avec nous, pour revenir à un judaïsme plus fondamental, tel que l'ont connu nos ancêtres ?
Adopter les mêmes prières et les mêmes règles alimentaires pour tous les juifs serait tellement plus simple !


Au temps des Patriarches, nos ancêtres de mémoire bénie Avraham, Its'hak et Yaacov n'avaient pas trop de questions à se poser en matière de diversité.
Il n'y avait qu'une façon de Hachem (laquelle ? C'est un autre débat...).
Et un beau jour (façon de parler), ce qui allait devenir, plus tard, le peuple d'Israel est passé d'une personne unique à 12 personnes différentes, les 12 fils de Yaacov qui allaient donner naissance aux 12 tribus.
Et c'est là que la diversité à commencé.

Selon le Ari Zal, rapporté par R. 'Haim Vital, il y a dans le ciel 12 portes, qui correspondent aux 12 tribus. Ces 12 portes correspondent aussi aux 12 portes du Bet Hamikdach. De même que chaque tribu devait emprunter sa porte pour entrer dans le Temple, chaque porte céleste ne s'ouvre que pour accueillir les prières de "sa" tribu. Aux temps bibliques (avant l'exil de Babylone, pour être précis), si une personne priait de la façon d'une autre tribu, sa demande restait bloquée.

Toujours selon le Ari Zal, depuis l'exil et le mélange des Bné Israel, le concept de tribu a été remplacé par le concept de minhag, pour la vie en général, et on parle de noussa'h plus spécifiquement pour la prière.
C'est pourquoi, aujourd'hui nous avons une multitude de minhagim différents : Ashkenaze, Sefarade, Mizra'hi, Italki, Romaniote, Yemenite, Ethiopien et tant d'autres. Chacun ayant bien sûr son noussa'h. Et chacun se subdivise à son tour : en Europe de l'Est les Mitnagdim se distingues des 'Hassidim, et en Algérie les Constantinois ne font pas pareil que les Oranais...

Certains pensent qu'en multipliant les minhagim, on se disperse et on diminue nos forces. Non cette pluralité du judaïsme n'est pas une régression, mais une évolution qu'il faut voir de la façon la plus positive possible. On ne s'appauvrit pas par la diversité mais on s'enrichit, car la combinaison des différentes façon de faire permet un tikoun optimal du monde. Ainsi, par exemple, à Pessa'h, un Ashkenaze servira Hachem de la meilleure façon possible en ne mangeant pas de kitnyot, alors qu'un Séfarade le fera en en mangeant. Un personne habitant en 'Houts Laarets se rapprochera d'Hachem en faisant deux jours de Yom Tov, alors que celui qui habite Erets Israel le fera en n'en faisant qu'un. Ce n'est pas un jeu de punitions et de récompenses mais une chance pour chacun d'optimiser son service en fonction de sa néchama.

C'est comme pour construire une maison (Emmanuel Bloch a déjà pris l'excellent exemple de l'orchestre, je vais donc varier en prenant pour illustration le thème du bâtiment).
A la base, un maçon suffirait à construire une maison : il monte 4 murs, on met quelques planches ou une bâche sur le toit et voilà une maison. Mais si on veut une maison plus confortable, on va faire appel à un couvreur pour le toit, à un plombier qui installera l'eau courante, à un électricien qui raccordera le réseau électrique, à un vitrier pour poser des fenêtres...
Et si on veut aller encore plus loin dans la sophistication, on peut engager un peintre pour donner une jolie couleur aux murs, un ébéniste pour sculpter une porte, un forgeron pour y ajouter une poignée décorée. Plus on prendra d'artisans spécialisées, plus la maison sera raffinée.

C'est pareil pour le service d'Hachem, plus on a de minhagim variés, plus on peut contribuer à raffiner notre avoda.

Ainsi, force est de reconnaître que la distinction entre Ashkenaze, Sefarade, ainsi tous les autres minhagim possibles et imaginables n'est pas un drame mais une opportunité voulue et offerte par Hachem pour nous permettre de mieux lservir.

Pourquoi, dans ce cas, Hachem n'a pas donné directement au Mont Sinai tous les minhagim que nous avons développés - et que nous continuerons à développer jusqu'à la venue du Machia'h ?

Parce que la Torah est comme une pierre précieuse. Elle nous a été donnée brute au Sinai, et, depuis, à chaque génération, tout minhag qui vient y ajouter un détail et qui fait vivre la hala'ha dans sa diversité est comme un tailleur qui viendrait polir une à une les facettes de ce diamant. Le tailleur, en fait, ne crée rien, il ne fait que révéler la beauté de la pierre. De même, en réalité, le minhag n'ajoute rien à la Torah, il lui permet juste de mieux briller.
Shivim panim laTorah, il y a 70 facettes à la Torah, enseignent nos sages (Bamidbar Rabba 13,15-16), et dans bien des domaines nous sommes loin d'avoir poli toutes les facettes de notre Loi, il ne faut pas avoir peur de continuer dans cette voie et nous devrions fuir tout ce qui conduit à une uniformisation.

D'ailleurs, uniformiser notre Loi, la figer ou pire, la ramener à un moment antérieur (certains voudraient revenir à une pratique du judaïsme aussi proche que possible de celle des temps bibliques, ce qui reviendrait à en retirer tous les minhagim ; d'autres appellent de leurs vœux un retour au judaïsme michnaïque, soit un retour en arrière de presque 2000 ans dans notre "polissage") est contraire au concept même de la hala'ha, dont le terme partage la même racine que lale'het, marcher. La hala'ha avance, elle ne s'arrête pas ni ne recule. Elle avance à son rythme - inutile de la brusquer, car si le tailleur de pierres précieuses va trop vite, il risque de faire éclater son joyau. Mais elle avance, et le minhag est le principal moteur qui la pousse en avant.

Evidemment, tous les minhagim ont la même valeur aux yeux d'Hachem et il est certain qu'il n'y en a pas de supérieur à un autre. Toute forme de racisme ou de haine envers les personnes d'une communauté différente est de toute évidence contraire à l'esprit de la Torah.

Chaque artisan peut penser qu'il est le plus important :
"sans moi, qui va protéger la maisonnée de la pluie ?" peut dire le couvreur ;
"sans moi, pas d'eau pour se laver !" peut dire le plombier ;
"sans moi, pas d'électricité pour s'éclairer !" peut dire l'électricien...
Mais pris séparément, leur travail est inutile, ils ne sont productifs que quand ils travaillent ensemble, sur le même projet. Ils ne sont pas concurrents, ils se complètent, et la compétence de chacun est utile pour achever l'oeuvre.

Alors pourquoi vouloir supprimer les couvreurs, plombiers, électriciens, vitriers, peintres, ébénistes et forgerons pour faire de nous un peuple uniquement composé de maçons ? Pourquoi recouvrir notre diamant de terre pour que ses facettes disparaissent et l'empêcher ainsi de briller ?
Ce serait dommage, non ?



5 commentaires:

  1. Texte très intéressant, bravo a son auteur !

    Ma perception est cependant différente de celle de l'auteur. Je ressens les différences de minhagim non pas comme des éléments complémentaires mais plus comme une concurrence a qui fait mieux la chose. Prenons l'exemple des kitniot, chacun est persuadé que c'est sa coutume la meilleure, et même si, pour les plus éduqués, ils ne chercheront pas a l'imposer a son entourage, il considérera néanmoins in petto que de prendre des kitniot a pessah est limite une avera, vu qu'on risque de tomber sur du hamets, ou a l'inverse que de pas prendre des kitniot fait passer complètement a coté de l'aspect festif de la fête qui est une mitsva en se coupant des délicieux plats ne pouvant être composé qu'avec ces ingrédients légumineux.

    Pour reprendre l'exemple de la construction d'une maison utilisé dans l'article, c'est un peu comme si on avait un même corps de métier pour chauffer la maison, et que les différents artisans cherchent a convaincre que c'est leur point de vue le meilleur, chauffage électrique, charbon, gaz, chauffage thermique, chauffage au sol, sur les murs etc…

    Lorsque gamzouletova écrit " Évidemment, tous les minhagim ont la même valeur aux yeux d'Hachem et il est certain qu'il n'y en a pas de supérieur à un autre. Toute forme de racisme ou de haine envers les personnes d'une communauté différente est de toute évidence contraire à l'esprit de la Torah." c'est très joli, mais dans les faits chaque communauté se prétend comme étant la plus proche de la "vraie" tradition et conséquemment comme supérieure aux autres, et en découle malheureusement forcément une attitude de défi vis-à-vis des autres communautés (un hassid considérera par exemple qu'il ne pourra même pas manger un plat sans kitniot des le moment ou la cuisinière utilise des kitniot dans ces autres plats, entrainant souvent vexation, incompréhension et sentiment de rejet pour la personne en mangeant, la faisant se sentir comme moins religieuse…

    Le problème provient selon moi de la trop grande importance donné aux coutumes, souvent au détriment de la loi/halaha elle-même. C'est d'autant plus frappant lorsque cela concerne des marqueurs identitaires forts comme la cuisine a pessah ou la tsniout pour les femmes, notamment sur les histoires de perruques/beret, ou cela dégénère souvent en guerres ouvertes entre les communautés. Ne dit on pas que Minhag otiot Guehinom ?

    Machia'h aura décidément du pain sur la planche et mieux vaut qu'il pointe rapidement le bout de son nez pour qu'on n'ait plus a décider si gouter du msouki a pessah lorsqu'on a un nom qui se termine en ICZ est un crime passible des pires tortures morales pour avoir osé enfreindre les coutumes ancestrales pour un moment d'égarement culinaire certes, mais Ô combien délicieux :-D

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    1. Merci pour tes remarques, Jonathan (que j'attendais, j'avoue).

      "il considérera néanmoins in petto que de prendre des kitniot a pessah est limite une avera"

      Je pense qu'une personne qui réagit comme cela n'a d'une part pas compris comment fonctionne la cachrout, et d'autre part pas compris comment fonctionne la tradition. Et je conseillerais à une telle personne de regarder, par exemple, ce cours de R. Chaya qui explique très bien aux débutants le pourquoi du comment :
      http://www.leava.fr/cours-torah-judaisme/pensee-juive/7_la-cacherout-les-raisons-profondes.php

      Petit conseil personnel : si tu souffres de ne pas manger de kitniot pendant pessa'h, pense très fort au mois d'eloul pendant lequel tu peux dormir plus longtemps que les mangeurs de msouki ;)


      "dans les faits chaque communauté se prétend comme étant la plus proche de la "vraie" tradition et conséquemment comme supérieure aux autres"

      Je n'ai jamais entendu aucun rav sérieux prétendre cela...
      Comme disent les américains : "Don't judge Judaism by the Jews", on trouvera toujours des personnes qui se conduisent mal, d'une façon ou d'une autre. Nous n'échappons pas à la part universelle de gens racistes, intolérants ou tout simplement ignorants (et prétentieux), de la même façon que nous avons notre lot de voleurs et de violeurs.
      Mais quand on pose une cheela à un Gadol (un vrai !), la première chose qu'il dit est le plus souvent : "d'où viens-tu ?" et jamais "fais comme moi".


      "Le problème provient selon moi de la trop grande importance donné aux coutumes, souvent au détriment de la loi/halaha elle-même."

      Mais la hala'ha dépend de la coutume, donc il faut lui donner de l'importance. Tout en gardant, bien sûr, le sens des priorités. Donc je dirais que la coutume est importante à priori (le'hat'hila), moins à posteriori (bediavad). Par exemple il me paraît clair que si l'accomplissement d'une 'houmra devait faire honte à quelqu'un d'autre, il vaut mieux s'en passer. Mais là on est déjà dans des situations particulières, dans lesquelles, si j'ai bien compris ta position, je te rejoins (regarde par exemple mon article sur les collants).

      Franchement, je serais très déçu si Machia'h abolissait toutes les coutumes et unifiait la pratique du Judaïsme. Je pense plutôt que son rôle pacificateur sera plus de dire à chacun, de façon incontestable et en fonction de sa néchama, s'il va ou non pouvoir manger du msouki à pessa'h et à quel heure il se lèvera pendant eloul...
      Ou pas.
      On verra bien.
      Bientôt j'espère !

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  2. Que machiah rappelle aux gens la différence entre halaha et minhag et ca sera déjà pas mal.

    Pour ma part j’espère qu'on assistera a une unification du judaïsme parce qu'au bout de deux mille ans d'exil on en a bien besoin...

    Quitte a réapprendre par la suite la spécificité de chaque tribu, une fois qu'on aura remis la main dessus, vu que le judaisme actuel se résume somme toute a une ou deux tribus et que malgré tout elles ont réussie a faire comme si y'en avait 75 ...

    Et si ca pouvait arriver avant machiah meme, ca serait d'autant mieux, le peuple juif devrait comprendre aprés les millénaires atroces qu'il a vécu que rien ne compte devant l'unité, ni msouki, ni slihot a 5 du mat et ni rien d'autre...

    Personnellement, je ne me retrouve dans aucun gadol a l'heure actuelle, pas plus litvak que hassidish, je pense qu'il y a du bien dans chaque milieu mais aucun ne me semble détenir la vérité, c'est pour ca que je suis assez réticent quant aux minhaguim défendu bec et ongles par leurs adeptes, la tora est la pour nous dire quoi faire, pas besoin d'une surcouche issue d'un exil bien trop long et douloureux, qui ne fait que rappeler les vicissitudes de la vie dans les ghetto ou les kazbah.

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  3. Ah les minhaguim... Tiens, comment se créent-ils et Pourquoi? Comment se transmettent-ils? Comment s'adoptent-ils?

    Il me semble, mais je ne suis qu'au début de ma réflexion, que les minhaguim sont "locaux". Ils naissent pour faire face à un danger local, pour répondre à un besoin local. Je me trompe?
    C'est d'ailleurs pour cela que lorsqu'une personne va habiter dans un nouvel endroit où tout le monde a un certain minhag, il se doit de suivre ce nouveau minhag, nakhone?

    Dès lors, pourquoi devrions-nous garder nos minhaguim tunisien ou marocain alors que nous vivons en terre de tossfotes? Même question pour les yékeu ayant émmigré sur les terres séfarad du beth yossef?

    Ou alors, on décide que maintenant, le local = le global. Et oui, c'est aussi ça, la globalisation. Et donc, on se réuni (c'est dur), et on prend des décisions pour le klal Israël (mais ça, c'est impossible. En effet, disons qu'on remette sur pieds un Sanhédrin, ce qui aurait du sens, qui en aurait la présidence? Et bien, tu vois, juste à cause de cette question de personne, on peut toujours rêver de l'avoir notre Sanhédrine!)

    Ah oui. Et pour revenir sur ton image du plombier, charpentier etc. C'est joli, mais quel est le point commun entre les minhaguim et les métiers du BTP? Je veux dire: avant d'arriver à la conclusion: ma les métiers du BTP af les minhaguim, il faut un tsad hachavé. C'est quoi ici, à part la conclusion que tu veux donner?
    Et même si je vais dans ton sens, disons que les métiers du BTP sont un bon exemple: franchement, il vaut mieux être maçon que fignoleur de poignet de porte d'entrée!

    Allez, A+
    Naty

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  4. Le point commun entre les minhagim (et d'une façon plus générale, tout ce qui fait partie de la avodat Hachem) et le BTP, c'est la construction. Construction d'un maison ; construction du monde. Ne sommes nous pas les petits artisans du Boré Olam ? On peut difficilement trouver un machal plus évident...
    Tu penses qu'il vaut mieux être maçon, d'autres préféreront être fignoleurs de poignée...
    Je trouve plus intéressante ta remarque sur le minhag hamakom. Son application serait déjà un premier pas vers la simplicité (encore que, quel est le minhag hamakom en Papouasie ?). Mais il semble que beaucoup de gedolim y étaient farouchement opposés (je pense notamment au Ari Zal qui est le premier exemple qui me vient en tête) et tenaient à ce que le minhag "du sang" soit préservé.
    Je suis désolé Chabbat approche à grands pas et je ne peux pas développer autant que j'aimerais, en tout cas je te remercie pour ton commentaire (si tu avances dans ta réflexion - puisque tu dis n'être qu'au début - n'hésite pas à m'en faire part. Chabbat Chalom !

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