mercredi 23 avril 2014

Shlissel 'Hallé

Le minhag sur lequel nous allons nous pencher aujourd'hui est celui de la Shlissel 'Hallé ('halla clé en yiddish).
Pour le chabbat qui vient juste après pessah, certains ashkénazes -surtout des 'hassidim- font une 'halla soit en forme de clé, soit avec un dessin de clé dessus, soit avec une véritable clé dedans.
D'où vient cette étrange coutume ?

L'explication la plus simple et la plus courante vient de la deuxième michna de massekhet Roch Hachana, qui dit qu'à Pessah, on est jugés sur les moissons (תבואה), qui symbolisent la parnassa.
C'est la raison pour laquelle il y a travers tout le monde juif, à la sortie de Pessah, divers rituels ayant pour point commun le grain. Par exemple au Maroc on mange la mofleta, en Algérie du couscous, en Syrie et en Turquie on met des grains de blés aux quatre coins de la maison.
C'est dans le même esprit que s'inscrit la shlissel 'hallé.

Un autre lien entre la fin de pessah et la 'halla existe : la 'halla vient nous rappeler la manne qui tombait dans le désert. Or c'est après pessah que la manne a cessé de tomber et que les Bnei Israel ont dû produire leur propre nourriture. En souvenir de nos ancêtres qui, privés de manne, ont prié pour leur récolte soit suffisante, nous prions pour que la notre le soit en faisant une 'halla différente (et même, pour certains, en y incluant quelque chose de non comestible).

Mais pourquoi une clé ?
Il y a plusieurs raisons mystiques qui expliquent cela.

Premièrement, il est très fréquent dans la kabbala que l'on fasse référence aux portes derrière lesquelles se cachent les bénédictions et qu'il faut ouvrir (pensons, par exemple, aux tefilot de Yom Kippour). Et qui dit porte dit clé, donc logiquement, pour ouvrir la porte de la parnassa, il nous faut une clé, que nous représentons par la shlissel 'hallé.

La kabbala mentionne aussi 50 portes qui correspondent aux jours qui séparent Pessa'h de Chavouot. Chaque jour nous allons de porte en porte, et nous espérons que la shlissel 'hallé nous aide à les ouvrir pour arriver jusqu'à la Fête des Moissons.

Ensuite, dans Chir Hachirim - livre que l'on lit à pessah - il est écrit פתחי לי אחותי רעייתי "ouvre pour moi, ma soeur, ma bien aimée...".
'Hazal explique qu'Hachem nous demande de faire un petit trou (un petit effort) et Lui en fera un grand trou. La clé, qui évoque une serrure, nous rappelle ce tout petit trou, dont on espère qu'Hachem l'agrandira pour déverser sur nous avec abondance ses bienfaits.

Ces explications sont données par R. Avraham Yehochoua Heschel, le Apter Rebbe, dans le Ohev Yisroel. Il donne également d'autres explications plus profondes faisant appel à des notions kabbalistiques poussées, comme de nombreux autres grands maîtres de la 'hassidout : le Yismach Yisroel, le Imrei Pinchos, le Shearis LePinchos ou le Nachlas Yaakov, entre autres.

Enfin, terminons par R. Tzvi Elimele'h Shapira, le Tsvi LaTzadik qui voit là également une allusion au Rambam, lequel liste 8 mitsvot différentes au début de Hil'hot Chamets OuMatsa.
Le mot מפתח (clé) peut ainsi se décomposer en :
מ, pour matsa
פת, le pain
ח, dont la valeur numérique, 8, rappelle les 8 mitsvot


Pour conclure, la Guemara dans Taanit (2a) dit que 3 clés sont détenues par Hachem qui les contrôle directement, sans l'assistance des anges : la pluie, la naissance et la résurrection des morts.
La shlissel 'hallé pourrait donc être une ségoula pour ces 3 demandes : la parnassa, avoir des enfants et faire venir Machia'h.

C'est pourquoi certaines femmes ont l'habitude, au moment de confectionner la shlissel 'hallé de prier non seulement pour la parnassa, mais aussi afin que cette clé ouvre également les portes de la naissance (pour elle même ou pour quelqu'un d'autre) et de la résurrection des morts.


4 commentaires:

  1. Un autre article avec une perspective critique : http://www.mesora.org/Shlissel.html

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  2. Cher Emmanuel,
    J'ai consulté l'article que tu mentionnes avant d'écrire celui-ci. Je le trouve un peu "tordu" dans le sens où l'auteur se déchaîne avec, souvent, une mauvaise foi déconcertante contre cette coutume qui, comme toute les ségoulot peut ne pas susciter une adhésion inconditionnelle, mais qui a le mérite d'avoir (pour une fois, si j'ose dire) des bases solides.
    Bases qui sont balayées dans ledit article, pour se concentrer sur des supposées origines chrétiennes... Des similarités ne sont pas preuve de lien, et ce ne serait pas la première fois qu'un symbole fût partagé entre judaïsme et christianisme, voire paganisme !
    Que certaines des explications évoquées soient rétroactives, personne ne le nie, à commencer par la référence au Rambam : évidemment que ce dernier n'a pas parlé de shlissel 'hallé, mais celle-ci peut être vue comme un astuce mnémotechnique pour retenir son enseignement - n'inversons pas les choses !
    Mais finalement tant et tant de 'hidouchim para-midrachiques sont également rétroactifs, on peut même dire que la 'hassidout en est pétrie.
    Alors je ne connais pas du tout ce monsieur, ni son parcours ni sa cause ; est-ce un rationaliste plus convaincu que convaincant ou un farouche mitnaged qui prend les armes avec trois siècles de retard, je n'en sais rien, mais il est visiblement de parti pris, tant sur le fond que sur la forme teintée d'ironie et de mépris, bien au delà d'une critique de bonne foi...

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  3. Cher Ohev Shalom,

    Merci de cette reponse tres detaillee. Je comprends tes reserves. Comme dans ma famille on ne tient pas ce minhag, et que je n'ai pas fait la recherche, je vais m'abstenir de prendre position. Disons que si, de maniere generale, je n'ai pas d'affinites particulieres pour les segoulot, je ne vois pas non plus de raison de s'y opposer - a d'autres que moi, apparemment, cela parle beaucoup. Mais je n'aime pas trop les segoulot dont le message me parait vraiment contestable du point de vue du Judaisme, comme par exemple l'usage d'ouvrir le Aron haKodesh pendant le 9eme mois de grossesse d'une femme afin de favoriser une delivrance facile (trop proche a mon gout de la magie sympathique ou imitative); et le Schissel-Halleh, avec son message implicite que l'on peut quelque part "manipuler" Dieu, et eviter ainsi les moyens religieusement admis pour obtenir une bonne parnassa (tefilah, hichtadlout, ...), ne me plait pas trop non plus.
    Mais bon. Merci pour ce billet recherche. J'aurais du commencer par cela j'imagine ;)

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  4. Chez moi non plus, on ne fait pas cela, mais je trouve ce minhag sympathique c'est pourquoi j'ai voulu en parler.
    Je connais tes réserves au sujet des segoulot en général, mais tu as la qualité de les exprimer avec honnêteté et tact ;)

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