mercredi 2 janvier 2013

Le foie gras et le gavage des oies

Cet article devait au départ être un "le saviez-vous ?"
Car, le saviez-vous ?, le foie gras est une invention juive !
Hébreue, en fait, pour être précis.
Mais de plus en plus d'autorités civile et rabbiniques s'opposent à la production de ce mets, alors il m'a paru opportun de faire le point.




On estime que le gavage des oies est une activité qui a commencé il y a environ 4000 à 5000 ans, en Egypte. Les oies sont des oiseaux migrateurs qui parcourent de très longues distances, du nord de l'Europe au sud de l'Afrique. Avant de prendre leur envol, afin de stocker des réserves de calories, les oies se gavent elles-même, tout à fait naturellement. Les Egyptiens ont remarqué que ces volatiles qui survolaient la vallée du Nil en automne étaient particulièrement dodus. Ils ont donc commencé à les chasser, puis à en faire l'élevage, puis à les gaver artificiellement avec des figues et des céréales. D'ailleurs l'étymologie de foie vient de figue (en passant par le grec et le latin), car c'était l'organe qui grossissait par l'ingestion de figues.

Et il semblerait que, pendant l'exil de nos pères au pays des Pharaons, le gavage des oies soit devenu la spécialité des Hébreux.
D'ailleurs une stèle égyptienne exposée au Louvre montre les Hébreux en train de gaver des oies ! Cependant, d'après les archéologues, les Egyptiens ne mangeaient pas le foie. Ce sont les Bné Israel eux-même qui ont commencé à en faire un met de choix.
Comment et pourquoi, on ne le sait pas trop, mais on peut dire que les premiers producteurs et consommateurs de foie gras de l'histoire étaient les Bné Israel en Egypte.

Par la suite, avec le développement militaire et commercial du Royaume d'Israel le savoir-faire des Juifs a fait le tour de la Méditerranée : les Grecs, les Carthaginois et les Romains ont tour à tour apprécié cette spécialité.

A la suite de l'Exil de Rome, cette tradition de l'élevage des oies se perd dans la plupart du monde juif. Il n'y a qu'en Europe du Nord qu'elle se poursuit pendant tout le Moyen Age, particulièrement au mois de décembre. En effet, il était très difficile, dans ces régions froides, de se procurer de l'huile d'olive pour allumer la 'Hanoukia et pour préparer les traditionnelles fritures. On utilisait donc pour cela de la graisse d'oie (appelée "Schmaltz" en Yiddish). Petit à petit des non-Juifs de la vallée du Rhin, et notamment les Alsaciens se sont intéressés à cette spécialité juive et se la sont appropriée.
C'est ainsi que naquit en Alsace la tradition des non-Juifs de manger du foie gras, ainsi que diverses volailles, à l'occasion de leurs fêtes.

Avec la conquête de l'Amérique et la découverte de la dinde, c'est cet animal, plus économique, qui s'est imposé sur les tables de Thanksgiving, St Nicolas, Noël et Nouvel-An, mais le foie gras est resté un symbole de la cuisine considérée comme la plus raffinée du monde : la gastronomie française.

Sans que cela soit attesté, il est probable que ce soient également les Juifs qui, vers la fin du Moyen-Âge,  aient importé le foie gras dans le Sud-Ouest où ils ont appliqué les mêmes techniques de gavage à la volaille locale : le canard.

Voilà pour l'historique.

Donc, première chose que je tenais à éclaircir : si on mange de la volaille en décembre, ce n'est pas pour imiter les non-Juifs. C'est le contraire ! Bien sûr on ne farcira pas une dinde le 24 décembre, pour ne pas faire davka comme eux, mais il n'y a aucun mal à déguster un foie gras ou à faire rôtir une belle oie à 'Hanouka, au contraire, c'est une coutume on ne peut plus juive.

Ensuite, se pose la question de la kachrout du foie gras. Plusieurs poskim, et notamment R. Ovadia Yossef (Yabia Omer 9 YD no 3) se sont prononcés contre le foie gras. Parmi les arguments avancés, la souffrance de l'animal pendant le gavage (tsar baalei 'haim) et la stéatose hépatique, conséquence de l'hypertrophie du foie, qui en ferait une trefa (animal mortellement malade).

A propos du premier argument, on trouve effectivement sur internet un tas de vidéos montrant des volatiles élevés dans des conditions insoutenables. Cependant, c'est le lot de toute production industrielle. Les poules en batterie ne sont pas mieux loties, pourtant personne ne semble vouloir remettre en cause leur kachrout (et à mon avis c'est quelque chose qui mérite réflexion de la part des organismes de kachrout).
Les élevages de poulet en batterie (en Israel notamment) sont terribles, et pourtant personne ne parle de les changer ou de rendre le poulet - en général - non kacher pour cette raison... Non seul le foie gras est sous les projecteurs. Effet de mode ?
Notez également que c'est exactement le même argument, et le même procédé (vidéos de "mauvais" producteurs) qui sont utilisés par les antisémites déguisés en soi-disant protecteurs des animaux pour s'opposer à la che'hita...

Certains disent aussi que les oies souffrent pendant le gavage. Or, de nombreuses études faites notamment par l'INRA et la Ferme des Oies montrent que l'oie non seulement accepte très bien cela, mais en plus aime être gavée ! Et tous les éleveurs vous le confirmeront, les oies le demandent et attendent avec impatience l'heure du gavage. Tout artificiel qu'il soit pour nous, le gavage est naturel pour ces volatiles. Il suffit que cela soit fait dans le respect de l'animal, sans violence. Hélas les contraintes de rentabilité de l'industrie font que souvent l’œsophage des oies est abîmé pendant le gavage (rendant la bête treifa), mais ce n'est pas une fatalité, il suffit que le gavage soit effectué en douceur pour éviter cela. Evidemment, le contrôle minutieux de l’œsophage a un coût, qui se répercute sur le prix de vente.

Concernant la stéatose hépatique, il semble qu'il y ait une grande ignorance au sujet de ce phénomène de la part des non spécialistes*. En effet, c'est un phénomène qui est totalement réversible, et qui atteint autant les oies sauvages qui se gavent toutes seules. Ce n'est pas la conséquence d'un gavage artificiel, ni une maladie, c'est un processus naturel, je ne vois donc pas de raison de considérer une oie qui en serait atteinte de trefa.

Un dernier argument halakhique est celui de la kachérisation. En effet la kachérisation du foie demande des précautions particulières, et sans, entrer dans les détail, c'est un travail d'une extrême précision. Si le foie n'est pas assez grillé, il n'est pas kacher, s'il l'est trop, son goût et sa texture sont altérés. Or précision et gros volumes ne font pas bon ménage. Des consommateurs attentifs et compétents ont constaté que lors de la préparation du foie gras, certains traiteurs avaient tendance, dans le doute, à griller le foie plutôt pas assez que trop, et cela soulève un problème de plus.

Enfin il en est qui brandissent la décision de la Cour Suprême israélienne (tribunal laïc, pourtant) qui s'est exprimée contre la production de foie gras en Israel. Un examen de la décision montre pourtant que c'est la méthode de production qui est remise en cause, pas le principe ! Cependant, la Knesset a jugé bon de légiférer dans le sens de cette décision en interdisant totalement la production du foie gras au lieu de promouvoir d'autres méthodes (et en passant de préserver une tradition du patrimoine juif)...

C'est donc sur la base de ces arguments discutables, ou du moins contournable sans entacher ni la lettre ni l'eprit de la halakha, que des poskim ont donné leurs opinions. Je les comprends une fois remises dans leur contexte, car les rabbanim qui se sont prononcé, et notamment R. Ovadia Yossef n'avaient sous la main que des élevages industriels et pas de producteurs artisanaux pour pouvoir comparer. Ajoutez à cela un manque de motivation à prendre des risques pour maintenir ce qui demeure un marché de niche (en dehors de Paris)...

L'accumulation de doutes (ou de risques), c'est ce qui justifie l'interdiction pour ceux qui pensent qu'il faut interdire. Mais, selon moi, ce sont surtout les conditions d'élevage et de production qui sont remises en causes, pas le principe du gavage des oies.

Il pourtant y a un argument en faveur du foie gras qui devrait convaincre même les opposants les moins orthodoxes (comme M. Dalsace) et que je n'ai vu nulle part exprimé, à mon grand étonnement.
Que fait-on de l'Histoire ?
Les Bné Israel gavaient déjà les oies et mangaient vraisemblablement du foie gras avant même de sortir d'Egypte. Ils ont continué après le don de la Torah. Ce qui veut dire qu'il est très probable que Moshé Rabbenou en ait mangé, de même qu'Aaron.
Ils n'ont pas dit que c'était un problème, pourtant.
Puis David Hamele'h et Shlomo, ainsi que les prophètes, la Knesset Hagdola, le Sanhedrin, les Zougot, les Tanaim, les Amoraim... A leur époque, il est certain, archéologie à l'appui, que les Bné Israel gavaient aussi les oies.
Et personne n'a rien trouvé à y redire. Pas un mot contre cela dans le Talmud.
Les Richonim et Aharonim d'Allemagne, de Hongrie ou de Pologne, pareil...

Et tout à coup, après 3500 ans de tradition, on décide que ce n'est plus kacher ???

Je ne suis pas personnellement amateur de foie gras, mais je ne vois aucun argument halakhique qui tienne réellement debout pour interdire catégoriquement sa consommation, du moment que l'élevage et la production se font dans le respect des précautions susmentionnées.

Pour résumer :
Ceux qui disent que le foie gras n'est pas kacher, point ! se trompent.
Est-il pour autant facile d'en faire ? Certainement pas.
Il faut en particulier veiller scrupuleusement à 3 points :

  1. Le conditions d'élevage et de gavage, notamment pour minimiser les risques de treifa
  2. L'abattage et plus particulièrement la vérification des organes après la chekhita
  3. La kachérisation, certains préparateurs étant moins scrupuleux que d'autres



Le gavage des oies en Egypte

*note : l'auteur de cet article est diplômé en élevage de l'école agricole de Saint-Germain-en-Laye

2 commentaires:

  1. "Il faut en particulier veiller scrupuleusement à 3 points :

    Les conditions d'élevage et de gavage, notamment pour minimiser les risques de treifa"

    J'ajoute : à même hauteur, pour se garder de l'interdit de tsa'ar baalei haim , l'interdiction de causer de la souffrance aux animaux.

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  2. Dommage que les articles ne soient pas signés et ne mentionnent pas leurs sources, ça ajouterait au sérieux apparant mais non avéré.

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