jeudi 28 mars 2013

Le saviez-vous ? On peut acheter de la farine Cacher Lepessah

Essayez de chercher chez votre épicier, aussi bien fourni soit-il, vous ne trouverez pas de farine cacher lepessah. Je parle de la vraie farine de blé - pas de la fécule de pomme de terre ou de tapioca, ni de farine de matsa.
Evidemment, me direz-vous, la farine cacher lepessah existe, puisqu'on l'utilise pour faire les matsot...
Certes, mais toute la production est commandée par et livrée aux producteurs de matsot. Impossible donc pour un particulier d'en acheter.
Impossible ? Non ! Il y a un endroit, un seul, où on peut en acheter...

A Rome !
Pourquoi cela ?
Il existe une coutume romaine, remontant au moins au Moyen-Âge, qui consiste à préparer pour pessah des petits gâteaux appelés "ciambellette".
Ces ciambellette ont les caractéristiques suivantes :
  • elles sont habituellement "faites maison" et se mangent fraîches
  • elles nécessitent de la vraie farine (impossible d'en faire avec des substituts)
  • leur fabrication prend moins de 18 minutes et n'implique aucun 'hamets (pour information, je vous mets la recette complète en bas de page)
C'est la raison pour laquelle on trouvait depuis fort longtemps dans les épiceries cacher de Rome des paquets de farine (chmoura !) estampillés "cacher lepessah" que chaque ménagère se faisait un devoir d'acheter pour préparer ses ciambellette en l'honneur de la fête de la liberté.

Tout cela jusqu'à un beau jour de printemps 2010 où un jeune et zélé rabbin du Beth Habad de Rome se dit que, décidément, cela ne tourne pas rond. Vendre de la farine cacher lepessah ? Quelle horreur ! On a jamais vu cela ! Trop de gens ne font pas suffisamment attention aux règles de la cachrout de pessah, estime-t-il, on mange involontairement du hamets à cause de ces diaboliques ciambellette, il faut donc les combattre à tout prix. Et puis la vue de tous ces gâteaux (qui ont le statut de matsa achira, donc interdite aux ashkenazes, et qui contiennent souvent des kitniot) est certainement insupportable pour ce hassid.
Faisant preuve d'un inégalable bon sens, ce rabbin loubavitch se rend auprès du grand rabbin séfarade d'Israel, R.Amar, pour discuter de ce minhag italki qui se déroule à Rome.
C'est à en perdre son latin.
Le Rishon Letsion se fend néanmoins d'une lettre (d'un psak, même), adressée au Grand Rabbin de Rome, lui interdisant désormais de superviser cette farine cacher lepessah et lui imposant d'en interdire aux commerçants la vente.
Ni une ni deux, le Bet Din de Rome se réunit pour rendre à son tour un psak : malgré tout le respect qui lui est dû, le R.Amar a violé le principe d'indépendance des communautés. Il n'a aucune autorité pour interdire ou imposer quoi que ce soit à Rome, le BD seul a la compétence pour prendre toutes les décisions hilkhatiques dans sa juridiction et il refuse de suivre ce psak émanant du Grand Rabbinat d'Israel (et, rappelle-t-il, n'importe quel psak imposé de qui que ce soit d'extérieur).

Alors que les relations entre le Grand Rabbinat d'Israel et son homologue romain étaient traditionnellement plutôt chaleureuses, un sombre conflit politico-religieux naît soudain.
De nombreux échanges entre R. Di Segni (GR de Rome) et R.Amar ont eu lieu afin de trouver un solution avant pessah, qui approchait à grands pas.
La décision suivante fut prise unilatéralement coté italien : pour pessah 5770, on ne vendrait pas de farine au détail pour les particuliers, seule une liste d'établissements surveillés par un chomer pourrait en acheter pour produire et vendre des ciambelle. Et pour l'année suivante, on verrait bien ce qui se passe.

Or, comme on pouvait s'y attendre, ces ciambelle industrielles vendues à prix d'or n'ont pas convaincu... Les personnes les plus têtues ont commencé à acheter de la farine non surveillée. Les plus motivées à bien faire ont mis un place un marché noir avec la complicité des distributeurs de farine cacher lepessah. Les manifestations, tags et tracts se sont multipliés pour la défense de la farine cacher lepessah.
Le mieux est l'ennemi du bien... En voulant changer de force les minhagim des gens, la situation est devenue pire qu'avant : ceux qui prenaient de la farine non surveillée étaient pratiquement sûrs d'utiliser du 'hamets ; ceux qui traficotaient étaient aussi rigoureux (ou pas) qu'avant sur la cachrout, mais en plus on les poussait à trahir la confiance du rabbinat...
Depuis, la farine cacher lepessah a petit à petit repris sa place sur les étalages. Sans nier un éventuel problème dans certains foyers, R. Di Segni affirme que ce n'est pas par la contrainte qu'on fait changer les mentalités et qu'interdire des minhagim ancestraux n'a fait que pousser les gens à se rebeller contre ce qu'ils ont vécu comme une ingérence et un manque de respect. Il a donc intelligemment choisi la voie de l'éducation, en indiquant de façon claire sur chaque paquet, dans les journaux et dans des brochures explicatives les règles qu'il est impératif de respecter lorsqu'on utilise de la farine cacher lepessah.

L'histoire de la farine, des ciambelle et de cette embrouille n'est qu'anecdotique. Elle révèle cependant quelque chose de beaucoup plus profond : l'importance des minhagim et du respect de la tradition comme facteurs de cohésion sociale et religieuse. L'attachement - un peu irrationnel - du peuple romain à ses ciambelle est un symbole fort et pour moi un une excellente nouvelle : même si certaines personnes ne sont pas 100% respectueuses des mitsvot, elles tiennent à ce que le Judaïsme reste authentique. Ces mêmes personnes s'opposeront probablement avec autant de vigueur à toute réforme (qu'elle soit plus stricte ou au contraire libérale). Et on en a vraiment besoin, de Juifs comme ça !

Pessah cacher vesameah à tous !



Recette des ciambellette (enfin en gros car chaque famille a sa variante jalousement gardée) pour une petite vingtaine de gateaux :
  • 5 verres de farine cacher lepessah
  • 1 verre de sucre
  • 1 verre d'huile
  • 1 verre de vin, de jus d'orange ou de liqueur d'anis
  • 2 oeufs
Et là, la course contre la montre commence : il faut mélanger les ingrédients, pétrir la pâte et former les gâteaux (pas trop gros, sinon le coeur n'a pas le temps de cuire) en moins de 5 minutes. Comptez 12 minutes de cuisson à 200°C (avec évidemment un four bien préchauffé) et cela ne laisse qu'une petite minute de marge pour ne pas atteindre les fatidiques 18 minutes...

8 commentaires:

  1. Merci pour la recette.
    Mais la farine cacher lePessa'h on la trouve où à Paris, peut etre chez Naouri rue de Rome? ;-)
    Moadim LeSim'ha

    Joël

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  2. Au delà du contenu de ce texte, je veux surtout exprimer mon indignation concernant l'anonymat derrière lequel se dissimule l'auteur, tout en se prétendant orthodoxe, donc peut être auto astreint à une éthique minimale, en ne se privant pas de salir tl ou tel personnage ..on peut faire ça sans afficher un nom d'auteur ? J'en doute.

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    1. Je ne suis pas sûr de comprendre, qui a été sali ?

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    2. dans cet article, le rav Amar et le loubavitch ne sont pas vraiment salis, ils sont seulement un peu malmenés, je me référais surtout au post écrit contre ce rav Haim Shapira.
      Même s'il y a toutes les raisons de malmener les personnages impliqués dans l'histoire de la vente de la farine à Rome, même si ce "rav" Shapira est un escroc, je pense que celui qui signe ces écrits, surtout du fait qu'ils sont écrits à propos de personnages réels, devrait les "signer".
      Jean Pisanté

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  3. Hello,

    Je viens de découvrir votre blog suite à un commentaire sur Akadem (ici : http://www.akadem.org/sommaire/cours/3000-ans-de-pensee-juive/ascese-martyr-et-demons-les-mystiques-ashkenazes-26-11-2012-48706_4421.php), et je tenais à vous féliciter, c'est vraiment très intéressant. 'Hazak !

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  4. super post qui nous montre bien qu'au final tout n'est que business mais alors la question ou peut on trouver cette farine aujourd'hui?? y'a t il un site internet qui pourrait la vendre ou bien il faut se rendre sur place et dans ce cas avez vous un magasin? mes parents vont souvent en Italie je peux leur demander
    merci beaucoup
    chanael

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    1. Bonjour,
      Cette farine ne se trouve que sur place, à Rome, pendant les jours qui précèdent Pessah. On en trouve dans les épiceries du Ghetto (via Portico d'Ottavia).

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