"Chema beni moussar avi'ha, veal titoch torat ime'ha"
"Ecoute, mon fils, le Moussar [enseignement moral] de ton père, et n'abandonne pas la Torah de ta mère"
Chaque mot de ce curieux passouk appelle une question :
- Pourquoi "écoute" d'un coté et "n'abandonne pas" de l'autre ?
- Pourquoi s'adresse-t-on au fils et pas à la fille ?
- Pourquoi dire à ses propres enfants "écoute ton père" au lieu d'"écoute moi" ?
- Mais surtout, pourquoi rattacher le Moussar au père et la Torah à la mère ?
Logiquement, cela devrait être l'inverse !
D'après la Torah (Devarim 6,7), c'est l'homme qui a la mitsva d'enseigner la Torah a son fils ! Quant au rôle de la femme, Chlomo Hamele'h lui-même développe lui même ce qu'il voit comme un idéal au perek 31 des mêmes Michlé (le fameux "Echet Hayil"). Or s'il y est question de morale à foison, point de mention de l'enseignement dans ce texte-là !
Franchement, n'importe qui dirait plutôt : "Ecoute, mon enfant, ma Torah, et le Moussar de ta mère", non ?
Mais ce n'est pas le cas ! Car évidemment chacune de ces expression vient nous apporter un enseignement.
On s'adresse au fils, car comme le précise la Torah, la mitsva d'enseigner s'adresse aux hommes, pour leurs fils. C'est dans cette optique là que peut être compris le fait de ne s'adresser qu'au fils. La fille n'est pas ignorée, mais ce n'est pas elle qui a le devoir de recevoir (et transmettre) le texte !
Mais pourquoi un père parlerait-il de lui à la troisième personne ? Car ce n'est pas un père quelconque qui parle, mais LE Père, Hakadoch Barou'h hou ! C'est Lui qui dit, à chaque Ben Israel : "Ecoute, mon fils !"
Et si Hachem nous parle directement, c'est pour ajouter un nouvel enseignement à ce que nous savons déjà :
Non, le père n'est pas seulement là pour transmettre un savoir, mais aussi un comportement car il est un exemple pour son fils, comme on le voit dans la Guemara (Sota 34a) : "Maassé avot siman labanim" ("les actions des pères sont des signes pour les fils" - nous reviendrons sur cela plus loin).
Et la mère aussi joue un rôle dans l'enseignement de la Torah.
Donc on part du principe qu'il est évident que le père doit enseigner la Torah et la mère les bonnes Midot, et on nous apporte un enseignement supplémentaire : le père doit aussi enseigner les Midot et la mère la Torah.
Mais comment la mère enseigne la Torah ? A travers son ventre !
Comme l'enseigne la Guemara (Nida 30a) : pendant la grossesse, un ange vient dans le ventre de la mère et enseigne la Torah en entier au foetus !
R. 'Haim de Volozhine écrit dans son Nefech Ha'haim un long chapitre dans lequel il développe l'importance du Moussar et de la Yirat Chamaim (Crainte du Ciel). Le Moussar n'est pas un but en soi, il n'y a aucune mitsva d'étudier le Moussar. Le temps passer à étudier pour renforcer sa Yirat Chamaim, écrit-il, ne compte même pas comme Limoud Torah. Pourtant, il est absolument nécessaire, car sans Moussar, l'étude de la Torah ne sert à rien, elle entre dans une oreille et ressort de l'autre, elle ne peut pas s'imprimer dans notre coeur et dans notre âme.
Le Nefech Ha'haim prend exemple dans la Guemara, qui explique que quand on récolte du blé, il faut laisser dans l'entrepot un peu de paille pour absorber l'humidité, sinon le blé moisit. La paille n'est pas le but de la récolte, mais elle est nécessaire, sinon la récolte est perdue. Mais la paille seule sans blé n'a aucune valeur non plus. Il faut les deux dans les justes proportions. Pour R. 'Haim, si la Guemara nous parle du blé et de la paille c'est uniquement une parabole pour nous montrer l'importance du Moussar dans la Torah. La Torah seule ne sert à rien. Le Moussar seul ne sert à rien. Il faut les deux, dans les juste proportions.
En replaçant cela dans le contexte de Michlé, le passouk trouve tout son sens :
[Hachem dit aux Bené Israel :] Ecoute, mon fils, [pas seulement la Torah, mais aussi] le Moussar de ton père, et [grâce à cela tu] n'abandonne[s] pas la Torah [que tu as déjà apprise dans le ventre] de ta Mère[, tu la récupères].
D'ailleurs, puisque rien n'arrive par hasard, Chabbat dernier nous avons terminé la lecture du livre de Berechit. A propos de Berechit, Rachi écrit dans son premier (et célèbre) commentaire, au nom de son père, que ce livre, normalement, ne devrait pas se trouver dans le 'Houmach. La Torah écrite devrait logiquement commencer par le livre de Chemot, avec Roch Hodech Nissan, le "vrai" commencement de l'année ; Pessah, la sortie d'Egypte, la naissance du Peuple d'Israel ; le don de la Torah... Les aventures des patriarches sont très belles mais elle auraient très bien pu rester dans la Torah Orale sans figurer dans la Torah Ecrite car, finalement, la Torah est avant tout un livre de loi et ce n'est pas dans Berechit que figurent les lois.
Pourquoi donc commencer par le récit de la création ? Rabbi Itshak répond : pour rappeler à tous qu'Hachem a crée le monde, qu'Hachem a donné Erets Israel a Avraham, Itshak et Yaacov et que personne d'autre que nous, les Bnei Israel, n'a de droits sur cette terre.
Mais selon le Steipler, Rachi n'est pas d'accord avec son père. D'après lui, si la Torah commence par Berechit, ce n'est pas uniquement par rapport à Erets Israel mais surtout parce que (comme nous l'avons écrit plus haut) "Maassé avot, siman labanim", parce qu'il y a des enseignements à tirer du comportement de nos patriarches. Mais, relève le Steipler, Rachi ne contredit pas frontalement son père. Au contraire, son premier geste, en écrivant son commentaire, est de lui rendre hommage ! Son père qui ne reculait devant aucun sacrifice pour la Torah et dont la légende dit qu'ayant trouvé une pierre précieuse d'une valeur colossale, il préféra la jeter à le mer plutôt que de la vendre à un idôlatre qui risquait de l'utiliser dans son culte, et qui eut comme récompense le mérite d'avoir un fils d'une valeur colossale également - dans la Torah.
Par ces seuls mot "Rabbi Its'hak omer", Rachi fait d'une pierre deux coups : il honore son père et explique pourquoi la Torah commence par Berechit : parce que "Maassé avot, siman labanim", nous rendons hommage à nos patriarches qui nous servent d'exemples.
En poussant plus loin la réflexion, on peut rapprocher cette idée du Steipler de l'idée du Nefech Ha'haim :
Et si le livre de Berechit, c'était la paille, et Chemot, Vaykra, Bamidbar et Devarim c'était le blé ?
Berechit serait le Moussar indispensable à l'étude de la Loi proprement dite, contenue dans les 4 autres livres du 'Houmach ! Le livre qui apporte la Yirat Chamaim sans laquelle l'apprentissage de la Loi n'a pas de sens...
Pour en revenir au Moussar, d'une façon tout à fait inexplicable, j'ai toujours été fasciné par cette discipline et je voue une grande admiration pour ceux qui ont mené ce qu'on appelle le "Mouvement du Moussar". Or je viens d'apprendre il y a quelques semaines que mon père zal étudiait, à l'époque où je suis né, auprès du fils d'un Rav qui était lui-même l'élève du Saba de Novardok... Ce serait donc de là que viennent la Torah et la Yirat Chamaim que j'ai reçus à ma naissance et qui expliqueraient que le Moussar me parle autant. La transmission de la Torah passe parfois par des chemins difficilement imaginables...
Ce dvar Torah est dédié limnou'hat nefesh de mon père Ishai ben Binyamin Morde'hai zal
R. Israel Salanter fondateur du Mouvement du Moussar |
bravo pour votre article, très belle leçon de hinouh
RépondreSupprimerQuelle surprise !
RépondreSupprimerQuelle est votre source de cette photo de rabbi Israel Salanter ?